Les vertus de l’habitat groupé

Le logement est en crise, on le sait. Cela est vrai pour le « logement social » mais aussi pour le reste du secteur et en particulier dans les grandes villes où le malaise affecte surtout le logement en appartements qui concerne une proportion exponentielle des habitants du royaume (1/3 de la population selon les exposés préalables de la loi ci-après). La dernière réforme de la loi (8/7/1924) introduisant la copropriété dans le code civil date seulement du 30 juin 1994. Rien d’étonnant dès lors  que la crise du logement s’accompagne aujourd’hui d’une crise de l’habitat. Celle-ci résulte essentiellement de l’urbanisation croissante du logement en appartements devenu majoritairement locatif (70% à Bruxelles) et qui s’exprime donc conflictuellement (copropriétaires, occupants et syndics) dans un abondant contentieux de copropriété.

La politique quantitative (sociale) du logement doit désormais composer avec une politique qualitative (bien-être) de l’habitat avec laquelle elle entre d’ailleurs parfois en conflit (droit au logement, expulsion des logements insalubres par exemple). L’ampleur de ces conflits soulève la question du lien de causalité entre ces deux crises. Faut-il imputer le mécontentement des habitants au manque de logement ou l’inverse ? A Bruxelles il manque actuellement 50 000 logements sociaux mais 30 000 habitations (sans compter les bureaux) sont vides. Alors que le marché immobilier survit bien à la crise financière, on peut s’étonner des raisons qui poussent les propriétaires à négliger la mise en location de ces logements déjà trop rares. L’harmonie et la cohésion sociale au sein des nouvelles formes d’établissements humains (H.L.M., immeubles à appartements …) semblent faire défaut à tel point qu’il est parfois plus facile d’abandonner ceux-ci à la spéculation ou, pire encore, à l’infamante squatérisation. Les troubles de voisinage et les perturbations de la vie privée sont tels que se multiplient alors, comme par contagion, les contentieux locatifs et/ou de copropriété préjudiciables au développement durable de l’ensemble du secteur.

L’impact de cette agitation dans la sphère domestique de nos grandes villes s’exprime surtout au niveau économique (loyers) dans le chef des propriétaires (privés ou publics) qui souffrent d’un manque à gagner important. Il serait néanmoins illusoire de s’en tenir à cet aspect du problème. Les responsables de la politique du logement social l’ont bien compris dans la mesure où ils s’emploient depuis quelques années déjà et dans nos trois régions à promouvoir la dite cohésion sociale (PCS) aux sein des immeubles dont ils ont eux-mêmes la gestion. La socialisation de cette politique ne résulte donc plus seulement de l’état de besoin de ses bénéficiaires (allocations sociaux) mais concerne paradoxalement les méthodes de gestion pratiquées en la matière. La mise en place de conseils consultatifs de locataires pour favoriser la participation, voire assurer la formation des usagers, en est un exemple évident parmi d’autres (AIS, woonkantoren…).

Le malaise ainsi révélé par l’exaspération d’une relation somme toute purement juridico-économique est d’autant plus profond qu’il affecte en réalité la dimension sociétale de ce qu’il est dès lors urgent de qualifier d’habitat pour dépasser la dimension purement acquisitive du logement. Dans son remarquable petit livre « J’habite donc je suis » Nicolas Bernard précise très justement que « Pour se protéger de la menace immédiate, l’homme peut se contenter de se loger, s’abriter. Mais pour s’épanouir pleinement dans son lieu de vie, il doit, en outre, pouvoir habiter son logement … » Ce pouvoir d’habiter suppose précisément une plus grande faculté d’appropriation du lieu de vie dans le chef de l’occupant (usager), propriétaire ou non. D’ordre sociétale quand à elle, cette exigence s’impose à tous les titulaires d’un droit réel sur le bien occupé, qu’il soit privé ou public (social ou « moyen »). Ceux-ci partagent en cette qualité avec ceux-là leur mission de gouvernance dont, les premiers, ils se sont progressivement chargés. La « responsabilité sociétale » qui en résulte suppose, outre la dite satisfaction providentielle de besoins, le renforcement (« empowerment ») dans le chef du bénéficiaire de sa capacité (droit) d’y pourvoir lui-même dans un esprit de subsidiarité (subsidiarisation), ce qui apparaît aujourd’hui comme la « bonne gouvernance ». Epris tous deux de développement durable, propriétaires publics et privés se familiarisent ainsi mutuellement avec des concepts nouveaux tels que participation, diversification, cohabitation (ou PACS) tous imprégnés d’intégration et de globalisation. Au risque de trahir sa nouvelle finalité sociale incontournable, le sacro-saint droit (individuel et exclusif) de propriété collatérale doit céder le pas au champ investi par l’habitat pris entre le voisinage et l’intimité (« privacy ») et donc davantage linéaire.

La convergence des trois crises contribue à l’émergence d’un concept déjà perçu comme un élément commun de solution avant même d’être reconnu par le droit. A l’instar des coopération, co(auto)gestion, colocation et cohabitation (légale ou non), l’habitat groupé apparaît désormais comme un mode de renforcement des acteurs du développement dans leur capacité de maîtriser leur propre environnement immédiat. Après la gouvernance étatique ou locale, de quartier ou d’entreprise, il s’agit à présent de découvrir les vertus de la gouvernance de l’habitat, en particulier lorsqu’il est groupé. A partir des problèmes signalés au sein des logements sociaux, le sens de l’habitat qui se développe de toutes parts (wooncultuur » en région flamande, culture de l’habitat dans le secteur de la construction) ouvre une nouvelle voie pour la résolution des conflits voire la solution, de la crise du logement.

L’habitat groupé s’écarte d’une part de la cohabitation avec partage des charges, propre à la communauté (vie commune), et d’autre part de la maîtrise foncière avec répartition des charges, propre aux coopérative et copropriété. Même si c’est à l’image fragile d’une famille utopiquement dépouillée de ses contraintes, sa structuration simplifiée, souple (déclaration, pacte ou charte,…) et transparente interpelle les habitants des immeubles collectifs. Parés chacun de leur propre dignité, propriétaires et habitants disposent dés lors chacun d’un outil pour humaniser l’édifice par leur responsabilisation respective grâce à une meilleure distribution des rôles et intérêts.

Cet aménagement structurel alternatif des établissements humains s’inscrit dans la tendance déjà ancienne mais toujours révolutionnaire de reliance et d’ouverture interpersonnelles et devraient pouvoir se réaliser sans autre initiative que celle des habitants eux-mêmes au sein de leur propre champ d’action. L’urgence de solutions aux crises sous-jacentes justifie néanmoins une initiative parlementaire pour encourager le recours à l’habitat groupé par sa labellisation, voire sa stimulation. Votée in extremis le 6 mai 2010, la toute récente loi fédérale sur la modernisation du fonctionnement des copropriétés vient d’entrouvrir discrètement cette porte en alignant l’ancien droit d’habitation sur ceux qui mettent leurs titulaire en mesure de participer à ce fonctionnement, dont les « habitants » concernés feront donc désormais partie. La dimension plus personnelle (besoin individuel ou familial) de ce droit renvoie néanmoins aux matières personnalisables comprises dans les domaines de compétence attribués aux communautés et régions à qui il appartient dés lors de prendre le relais pour veiller à l’humanisation des immeubles collectifs de logement (conseil des habitants par exemple).